Apprivoiser son cœur. Sinon le dompter dans ses fougues impétueuses, apprendre à le connaître, deviner ses réactions. S'en approcher sans l'effrayer. Reconnaître dans ses cavalcades ce qui relève du ressenti, de l'émotion, et dans ses élans durables et partagés, d'un sentiment amoureux. « Où est la frontière mon amour dis-le moi ? Si je t'aime et que tu ne partages pas ce sentiment, mon cœur emballé ne va-t-il pas galoper jusqu'aux falaises et se jeter dans le vide ? » Amoureux solitaire, moitié d'un tout qui n'est rien sans son complément. Mourir, disparaître… On ne force pas quelqu'un à nous aimer, à nous rendre notre amour. Tout au plus nos efforts, nos gesticulations peuvent-ils l'émouvoir, le toucher. Mais le miracle du sentiment amoureux chez l'autre dépend en fin de compte tellement peu de nous…

Apprivoiser le cœur, dans ses extases. Apprivoiser l'amour qu'on a en soi et que des êtres d'exception peuvent au hasard d'une rencontre nous refléter. Ne plus confondre. Ne plus se confondre dans l'amour. Se confondre en excuses : « je suis navré de te dire que je vibre pour toi de sensations amoureuses que je n'ai pas consciemment voulues et qui m'ont embrasées. Tu ne partages de cela qu'une amitié généreuse et singulière, un ressenti lumineux, et moi je suis cette maison isolée sur la colline, en proie aux flammes, incendie qui la consumera jusqu'aux fondations. »

« Toi et moi ne pouvons rien pour ça, sinon assister impuissants au spectacle lent de la mort douloureuse et indispensable de l'amour que j'éprouve à ton égard. Tu restes à mon chevet, veillant doucement cette mort, ne m'abandonnant pas. C'est un don d'une valeur inestimable dont je te serai éternellement reconnaissant. »

« Quand cet amour incendiaire aura fini de me ronger, m'aura épuisé et que je ne lutterai plus pour qu'il espère encore triompher, c'est qu'il sera mort. Je ne le nourrirai plus et je serai totalement effondré. Je pourrai renaître. Renaître à un ressenti radieux que nous pourrons partager. Car tu seras encore là. »

« Mon amour, que tu n'es pas finalement, pardonne-moi infiniment de t'avoir aimé, ou d'avoir cru t'aimer. Un jour je te remercierai de ne pas m'avoir abandonné. Je te remercierai d'avoir fait grandir mon « humanité », et la vérité de l'amour que cette humanité porte en elle. Je serai à tes pieds pour te dire merci, infiniment merci. Un cheval blanc apaisé se tiendra près de moi, les naseaux fumants, se laissant caresser : le cheval blanc du cœur non pas dressé mais apprivoisé, sans corde au cou ni longe, libre. Libre de tout et d'abord de moi-même.»


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Pierre Juste, "Clairières amoureuses"
oeuvre déposée
http://pierre.juste.free.fr