Qu'est-ce qui était le plus agréable : les moments que nous avions passé ensemble ou le souvenir que nous en gardions ? La mémoire est parfois un tamis grossier qui ne garde selon les cas que le meilleur, ou le pire. Les souvenirs ne connaissent pas la tiédeur ! Ce que nous avions partagé, je l'appelai « expérience amoureuse ». Ces instants épars où nos cœurs plus que nos corps ou nos lèvres s'étaient touchés, avaient été pour moi comme une renaissance : venir une deuxième fois à la vie. Grâce à toi. C'était il n'y a pas si longtemps, mais l'un comme l'autre savions que cela ne se reproduirait pas. Le fil n'était pas à proprement parler cassé, mais distendu. Et de la distance, une relation en demi-teintes, affadie, nous n'en voulions pas… Avions-nous fait le tour de cette relation extraordinaire, avions-nous fait le tour de nous-mêmes ? Je n'en croyais pas un mot et toi non plus, tu me l'avais dit. Mais nos non-choix, nos itinérances avaient décidé pour nous. Voilà pourquoi il fallait considérer notre histoire comme finissante et, déjà, passée. Et voilà pourquoi je te parlais de souvenir…
Dans mes souvenirs, c'est une photo de nous pas très jaunie, et quand je pose la main sur ma poitrine, essoufflé, c'est ton cœur que je sens battre. Mais le souvenir qui garde un espoir, c'est un rêve, et très vite un fantasme... Donne-moi la force mon amour de pouvoir regarder souvent cette photo de nous deux sans imaginer quoi que ce soit. Donne-moi la force de ne pas vivre dans l'attente qu'un jour peut-être nous nous retrouvions. Je ne veux pas de cet espoir. Je ne veux que la trace de toi en moi, la trace de notre rencontre passée, comme une marque de naissance, une cicatrice joyeuse n'évoquant ni douleur ni contusion… Que ce souvenir soit ton empreinte sur moi, la marque du gardian dans ma chair fumante, le chaînon clé de mon ADN, quelque chose de lié au passé, mais toujours présent, devenu patrimoine vivant. Que cette marque soit désormais une partie de moi, indissociable et sur laquelle je
sache bâtir ma vie à venir.
Un jour peut-être nous regretterons de ne pas être allés plus loin, ensemble. Oui, un jour, le regret sera là qui n'est pas l'espoir de rattraper, de réparer. Les dés pourtant sont jetés, nos vies sont faites et ce qu'il reste à en faire, mon amour, tu le sais, ne nous attendra plus. Sache que le souvenir que je garde de nous supplante d'avance tout ce qui pourra désormais m'arriver. Aucune autre rencontre ne pourra me donner plus de lumière, aucune autre rencontre ne mérite d'avoir une chance d'exister. J'avance désormais dans ma vie avec la main sur le cœur, me faisant ainsi un bouclier destiné à le protéger, si d'aventure quelque chose ou quelqu'un devait tenter d'y pénétrer, de s'y planter. Un bouclier d'amour en quelque sorte. Et je m'aperçois aujourd'hui que sous cette main, précieusement serrée contre mon cœur, il y a cette photo de nous, les yeux dans les yeux, souriants… Parfois je tends le bras machinalement, et ce souvenir est comme une lanterne éclairant mes journées solitaires. Eclairant ma vie de la lumière que je garde de nous. Eclairant une vie où tu manques cruellement, n'espérant finalement que toi…
Pierre Juste, "Clairières amoureuses"
oeuvre déposée
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