Je venais de marcher un long moment sur le rivage, dos au vent. La tramontane tempétueuse qui s'était levée semblait tout emporter avec elle : les crêtes des vagues tout d'abord, dont elle arrachait l'écume, couvrant la mer d'un brouillard fuyant. La plage ensuite dont elle soulevait le sable le lançant par paquets dans mon dos. Chacun de mes pas décollait une poussière lunaire qu'emportait aussitôt les rafales et cela dessinait une longue traînée devant moi , un étonnant pont suspendu.

Voilà que marchais dans le vide – au propre comme au figuré, empruntant un pont invisible que par malice je faisais apparaître grâce à quelques poignées de sable lancées devant moi. J'avais dû voir cela dans un film, le lire dans un conte, celui du Graal peut-être. Quel défi devais-je relever cette après-midi là ? Quel amour devais-je conquérir ? Le tien peut-être, qu'il fallait sauver du désastre. Où était l'arbre magique qui devait me souffler l'énigme ? Peut-être était-ce l'un de ces troncs de bois blanc et lisse dont la plage était clairsemée ? Ceux-là dont quelques tempêtes étaient venues à bout, ne parleraient plus, c'était sûr. A moins que l'un d'entre eux, dans un dernier souffle fût en train de me murmurer la direction dans laquelle aller, le combat à engager ; mais le bruit assourdissant de cette avalanche d'eau et de sable recouvrait tout. Marcher ici à ta recherche était sans espoir.

Las, saoul, j'avais regagné mon carrosse qui était le seul refuge sur lequel je pouvais compter. Claquant la porte, comme un pont-levis qu'on a relevé, je me retrouvais dans un endroit protégé et sûr : partout autour de la voiture volaient poussière et feuilles. Les arbres complètement secoués me cachaient la lumière par intermittence et excitaient ma vue. Eclats. La voiture, calme et silencieuse, dansait sur ses pneus et je me sentais tout à coup en retrait du monde et de ses mouvements désordonnés. Cela avait été tellement insupportable qu'il m'avait fallu baisser une vitre pour trouver un apaisement. Je pensais à toi. Nos silences m'étaient parfois tellement insupportables que de même j'aurais aimé trouver la commande pour baisser la vitre qu'il y avait entre nous. Et ce faisant créer le courant d'air, le courant de vie qui manquait tant à notre amour. Ce souffle aurait soulevé tes cheveux, et ils auraient fait comme ces arbres, jouant espièglement avec la lumière de ton cœur projetée sur moi. Le pont invisible qui m'aurait rapproché de toi restait introuvable malgré les innombrables pelletées de sable que partout autour de moi je jetais, éperdument. Et plus je jetais du sable tout autour, plus le désert dans lequel je m'enfermais grandissait. Dunes. Vent de sable. Dunes aux crêtes emportées par le vent à perte de vue.


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Pierre Juste, "Clairières amoureuses"
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