Après l'aveuglement que notre rencontre avait provoqué, l'imposition de tes mains sur mon cœur m'avait fait recouvrer la vue. Et voilà que je pouvais regarder le soleil sans me brûler les yeux. La fièvre était tombée et tu n'avais pas lâché ma main. Tu m'emmenais sur un chemin que tu avais dû prendre toi-même il y a des mois ou des années. En ne m'aimant pas, tu n'avais pour autant pas cessé d'être aimante : à travers toi, un message d'amour emportant tout dans sa lumière, accordant moins d'importance aux personnes qu'à leur humanité. Ce faisant, tu m'offrais quelque chose d'inestimable, me faisant gagner des années-lumière vers la sagesse. Tu me faisais don du Ciel dans ce qu'il peut avoir d'infini et de merveilleux, tu m'offrais la vie éternelle, détachée des circonstances et de nos réactions à leur égard. Tu donnais tout à coup un sens extraordinaire à ma vie, pour l'avoir toi-même réalisé : n'avoir rien d'autre à faire ici-bas qu'aimer. Aimer infiniment, sans calcul, sans faiblesse. Aimer franchement, de tout son être et non de tous ses sens. Aimer et pour commencer s'aimer soi comme on peut s'évertuer à aimer son pire ennemi : avec patience, humilité. Puis encore de la patience et encore de l'humilité.
Ta présence amusée, ta gentillesse jamais contrariée, cela avait été tes armes contre les pièges d'amoureux que je t'avais naïvement tendus. Tu étais passée à travers tous mes filets, sirène souriante et insaisissable. Tu avais déjoué toutes mes embuscades, ne les fuyant jamais, te contentant de rire et de poser sur moi un regard bienveillant. A bout de forces et sans doute à court d'espoir, au bout de mon amour, mon entêtement avait lâché. Au début je n'avais pas compris. J'avais cru que je n'étais tout simplement plus amoureux, las de t'attendre.
C'était tout autre chose. Ce qui n'avait cesser de m'intriguer, c'est que tu n'avais jamais fuit, te contentant à peine d'une distance de sécurité de moineau. Au début, j'avais cru à un jeu de ta part, te croyant goûter un malin plaisir à ce qu'on te fasse la cour. En fait si tu m'entraînais dans ton sillage, me rapprochant secrètement de toi, c'était pour me parler d'un amour autre, que je ne soupçonnais même pas. Cela avait pris du temps pour que je comprenne…
Pierre Juste, "Clairières amoureuses"
oeuvre déposée
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