Puisque ça dépasse l'entendement, pourquoi s'évertuer à l'expliquer. Pourquoi s'entêter à chercher une raison qui n'existe pas ici. Théorème sans équation. Expérience sans hypothèse. Elle est un peu comme ça mon Etoile : mystérieuse. Comme peut l'être une femme. Lointaine parfois, comme peut l'être une égérie. Scintillante, toujours. Dans la pénombre du ciel, un météore égaré qui s'en est approché par hasard. Force d'attraction. Gravitation. Attirance sans limite. Un peu comme les insectes nocturnes happés par les lumières l'été sur les terrasses et n'en finissant pas de tourner autour. Trop près, trop chaud, y revenant pourtant.
Me voilà prisonnier malgré moi d'une Etoile. Amoureux en orbite. Et quelle étoile ! Un soleil, un système solaire à elle seule. Une galaxie de miséricorde. A travers elle, la vie qui fourmille. Une forme de vie. Celle des émotions, des rires, des larmes. La beauté peut-être. Les halètements du souffle devenu soudain court, les battements trop forts, comme dans l'effort, du cœur.
Quelqu'un d'avisé me dit que tout ceci n'est pas réel. Illusions, pures illusions. Il me dit que tout ça est à la périphérie de moi-même, comme dans un rêve. Et moi je ne vois qu'Elle : cette étoile étrange au milieu de ma vie comme au milieu de l'univers. Lui me dit " reviens à toi, réveille-toi. N'écoute pas le chant de sirène que tu fredonnes intérieurement. Ton amour pour elle n'existe que dans ton imaginaire. Le piège tu le tends toi-même". Et moi je suis là qui tourne, tourne, tourne autour de cette planète radieuse. Chacun de mes jours m'en rapproche autant que je puisse m'en éloigner. Je ne vois que cet astre. Sans aucune possibilité de le rejoindre, luttant de toutes mes forces contre ce paradoxe : Etoile magnifique, le seul fait de désirer m'y poser ne serait-ce qu'un moment, me brûle déjà, consumant mes forces. Entrant dans son atmosphère et m'embrasant avant de disparaître, le corps en fusion. Comme le papillon restant collé au verre brûlant de l'ampoule. Trop près d'elle, trop loin de soi, trop tard. Réduit en miettes, les fragments carbonisés de soi.
Où que j'aille, où que le poids de mon âme lourde d'astéroïde égaré m'emporte, le tracé de l'ellipse parfaite me ramène invariablement vers Elle, passant à sa proximité dans le fracas assourdissant de mes sens écorchés. Un jour mon Etoile mourra. Elle mourra de sa disparition et elle mourra dans mon cœur. Auparavant, dans un dernier sursaut de bienveillance involontaire, elle atteindra son paroxysme : elle brillera encore plus fort, l'espace d'un instant, avant de tout emporter avec elle, se désintégrant. " Supernova " : on appelle comme ça je crois une étoile devenue l'aboutissement d'elle-même, tellement rayonnante, tellement lumineuse qu'elle provoque sa propre explosion, emportant tout ce qui gravite autour d'elle.
Tout ne sera plus alors qu'une pluie d'étoiles filantes, poussières d'Etoile , comètes aux longues chevelures, féminines encore. Des fragments d'Elle aux confins de l'univers. Ses positrons et ses neutrinos de bonté bousculant tout sur leur passage. Me transperçant le cœur, une dernière fois…
Pierre Juste, "Clairières amoureuses"
oeuvre déposée
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