Mes sentiments pour toi sont intacts. Fous, comme au premier jour. Et pourtant je les ai refoulés au plus profond de moi. Cet amour était devenu trop lourd. Au lieu de le vivre, tu sais que je le portais comme un fardeau que je ne savais où poser et qui me tuait lentement. Alors je l'ai monté au grenier pour le reléguer loin parmi mes rêves abandonnés et mes espoirs déçus. Je l'ai entouré d'un linge pour qu'il ne prenne pas la poussière et je l'ai assis dans une malle en osier, avec ma collection de pierres sur le couvercle pour être bien sur qu'il n'en sorte pas accidentellement.

Voilà, je sais que mon amour pour toi est en sommeil, pour dix ans, pour cent ans, et je le préserve dans sa forme originale, brute. Il ne s'abîmera pas. Il ne servira plus sans doute, mais comment m'en séparer vraiment, comment oser m'en débarrasser. Et même si cette vie devait désormais se passer au plus loin de toi, elle ne serait pas dans le souvenir. Faire de notre amour un musée ne m'intéresse pas. Je serai juste entre l'oubli de toi et ton souvenir, sur une frontière invisible et bien loin de l'indifférence et je pourrai je l'espère trouver encore le sommeil au bout de chaque nuit, après avoir veillé longtemps sur ce trésor rassurant. Si tu quittais ce monde avant moi, je permettrai que cette étoffe et son joyau devienne la mémoire vivante de toi, de nous et tu ne me manqueras même pas. Si c'est moi qui devais partir le premier, sans plus jamais t'avoir revu, on m'inhumera avec ce précieux tissu et quelques autres merveilles, et tu m'auras conféré le rang de pharaon.


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Pierre Juste, "Clairières amoureuses"
oeuvre déposée
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